La mort numérique et le notaire, gardien féroce de la mémoire

Le processus d’authenticité qui est au cœur de la crédibilité affirmée par l’article 1371 du Code civil de l’acte authentique, mode de preuve par écrit absolu, doit continuer à être adapté à notre société contemporaine, ses nouveaux usages et ses nouveaux outils, sans être dénaturé, afin de toujours lui rendre le service qui a justifié notre existence à travers les âges et les modes de gouvernances.

De nos jours, quand on meurt, on laisse aussi après soi une trace numérique, digitale.

C’est d’ailleurs une sorte d’immortalité assez facile que certains cherchent à atteindre.

Le Mouvement Jeune Notariat est un mouvement d’idées apolitique et volontaire qui réunit les membres de la profession notariale, quelle que soit leur fonction dans les Offices, au-delà des liens hiérarchiques, autour de valeurs fondamentales qui se traduisent dans un idéal de grandeur, de service et d’efficacité du notariat et qui se concrétisent dans « l’acte authentique ».

Dès décembre 2022, à l’occasion de ses 65 ans d’existence, le Mouvement Jeune Notariat organisait une conférence sur le Métavers et les cryptoactifs à Paris.

Les éléments de cette conférence sont à retrouver en cliquant ici.

10 jours après surgissait CHAT-GPT dans notre quotidien. Depuis lors, l’Intelligence Artificielle ne cesse de faire les gros titres dans la presse, notariale même. Heureusement, d’ailleurs, tant il y a à dire et à anticiper.

Le Mouvement Jeune Notariat entend continuer à explorer ces nouveaux mondes en pleine expansion et que le notariat ne peut ignorer compte tenu de la place croissante et réelle qu’ils prennent dans la vie de nos concitoyens.

Comme l’anticipaient les 113ᵉ et 117ᵉ congrès des notaires de France, nous disposons aujourd’hui de nouvelles formes d’identités et d’actifs.

On parle d’identités et d’actifs « numériques » ; ensemble ils composent le « patrimoine numérique ».

QU’EST-CE QUE LE PATRIMOINE NUMERIQUE ?

Le patrimoine numérique se constitue des comptes en ligne sur lesquels sont détenus de l’argent (cryptoactifs et monnaie, néo-banques, jeux et paris en ligne…), il se constitue également des documents et des souvenirs stockés dans le cloud, des profils sur les réseaux sociaux, des blogs, etc.

Il est important que ce patrimoine numérique soit connu par les héritiers lors de la succession pour ne pas être perdu. La problématique nous semble se rapprocher en cela de celle du testament olographe conservé par le disposant à son domicile, tellement bien caché que personne ne le trouvera et que sa voix, qui devait résonner outre-tombe, ne sera jamais plus entendue.

Il faut donc répertorier et centraliser les informations relatives à ce patrimoine numérique pour qu’elles soient facilement accessibles au notaire et aux héritiers, puis utilisables.

Si rien n’est fait, ces biens numériques seront définitivement perdus parce qu’ils seront inconnus ou inaccessibles.

PEUT-ON LAISSER DES DISPOSITIONS DE DERNIERES VOLONTES SUR CE PATRIMOINE NUMERIQUE ?

Le traitement de la mort numérique est un enjeu actuel et important car on a aussi une vie sur les réseaux sociaux, nos données personnelles sont informatisées, etc…

Alors que près de 8.000 personnes inscrites sur Facebook décèdent chaque jour dans le monde et qu’à l’horizon 2069, Facebook pourrait comprendre plus de morts que de vivants, il est nécessaire de s’interroger sur la gestion post mortem des profils sur les réseaux sociaux.[1] Or, bien souvent, les pages sont laissées à l’abandon ou transformées en pages posthumes.

De la même manière que l’on parle de la gestion de sa vie en ligne, il est logique de s’interroger sur le devenir de nos données après notre mort.

C’est la loi Informatique et Libertés et le RGDP (règlementation européenne) qui apportent des réponses à ces nouvelles problématiques qui touchent à nos données sensibles (les photos, vidéos, santé, etc…)

Depuis sa modification en 2016 par la loi pour une République numérique, la loi Informatique et libertés prévoit, à son article 85[2], le droit d’organiser, de son vivant, par l’établissement de directives, la conservation l’effacement et la communication de ses données à caractère personnel après sa mort.

Ainsi, une personne peut être désignée pour exécuter ces directives. Celle-ci a alors qualité pour prendre connaissance des directives et demander leur mise en œuvre aux responsables de traitement concernés.

Il nous est possible de laisser des directives numériques générales ou spéciales :

• Les directives numériques générales peuvent prises pour confier à un tiers de confiance le traitement des données personnelles après le décès. Problème ce tiers de confiance n’est pas désigné par la loi.

• Les directives spéciales peuvent être prises pour un site, un réseau social pour laisser ses données nous survivre, ou au contraire les supprimer…mais la question de la portabilité des données, c’est-à-dire leur transmission aux héritiers qui pourront les récupérer, est un point fondamental.

Les outils traditionnels de transmission peuvent bien entendu porter sur des actifs numériques comme le testament ou la donation, mais les particularités de ces actifs digitaux imposent des formalités techniques supplémentaires pour être pleinement efficaces, et elles tiennent essentiellement à l’information : en effet, si les proches ne connaissant pas l’existence de tous les comptes en ligne, il leur est impossible de récupérer le contenu des comptes, qu’il s’agisse d’argent ou de données.

Peu de nos concitoyens sont encore au courant, alors le risque de ne laisser aucune directive est grand pour l’instant. C’est pour cela que nous évoquons ce sujet d’information.

Par principe, un profil sur un réseau social ou un compte de messagerie est strictement personnel et soumis au secret des correspondances, cependant en cas d’absence de directives données de son vivant par la personne concernée, un maintien provisoire est prévu, mais pour que l’accès aux données soit autorisé, il faut remplir des conditions :

1.               Il faut établir sa qualité d’héritier (utilité de l’acte de notoriété)

2.               Il faut que les données constituent des souvenirs de famille ou soient utiles à l’organisation et au règlement de la succession

Ainsi, en l’absence de directives les héritiers qui justifient de leur identité ont la possibilité d’exercer certains droits, en particulier les droits :

  • d’accès, dans la mesure nécessaire à l’organisation et au règlement de la succession du défunt ;
  • d’opposition pour procéder à la clôture des comptes utilisateurs du défunt et s’opposer à la poursuite des traitements de données à caractère personnel le concernant ;
  • de rectification pour demander au responsable de traitement de tenir compte du décès de la personne concernée et de procéder à la mise à jour de ses données.

Cependant, cela soulève des difficultés pratiques :

• quelle est la définition de ces diverses notions ? (souvenir de famille ? éléments nécessaires au règlement de la succession) …

• comment savoir quels sites il faut consulter pour retrouver les éléments patrimoniaux digitaux du défunt…qui le notaire devra-t-il interroger au décès ? Quel site consulter pour obtenir les éléments ? C’est là que c’est compliqué en pratique.

UTILITE DE L’INTERVENTION DU NOTAIRE, GARDIEN FEROCE DE LA MEMOIRE ?

L’important est de faire un inventaire et organiser la manière de transmettre ces éléments à ses héritiers.

En effet lors de la recherche de ces comptes par les héritiers et le notaire au moment de la succession, les différentes plateformes en ligne ne communiqueront pas l’identité de leurs clients. Le contenu est alors exclu de l’héritage, c’est-à-dire perdu, qu’il s’agisse de données, de souvenirs ou d’argent. Pour garantir la transmission de ses comptes en ligne, il est donc indispensable d’en établir la liste exhaustive et d’y associer ses directives numériques qui pourront être communiquées à ses proches lors de la succession.

1°) Dans un premier temps, il faut établir un inventaire de ses biens et données numériques. Pour cela, faire une liste de l’ensemble des plateformes ou des services sur lesquels vous êtes présent. Il s’agit ici de vos réseaux sociaux, vos comptes en ligne, cryptomonnaie, crowdfunding, néo-banques… Cet inventaire doit inclure le nom des plateformes ainsi que votre mail de connexion (information essentielle pour vous identifier).

Pour les comptes qui n’ont pas de valeur vénale (réseaux sociaux, blog, messagerie, etc.) il faut définir ses directives numériques, c’est-à-dire le sort de ces comptes après le décès, organiser la mort numérique. Depuis 2016, la loi informatique et Liberté a été modifiée et elle permet à chacun de choisir la conservation, la transmission ou la suppression de ses données, à défaut, ces données étant, par nature, strictement personnelles, les proches du défunt ne peuvent, en principe, y avoir accès.

2°) Il faut ensuite conserver cet inventaire dans un lieu sûr et s’assurer qu’il sera connu par vos proches et votre notaire au moment où il faudra gérer votre succession…sinon, vos directives numériques ne seront pas respectées et l’argent que vous détenez en ligne ne sera pas transmis à vos héritiers.

3°) Enfin, mettre à jour ce document régulièrement pour tenir compte de tout changement concernant vos biens numériques (création ou la suppression d’un compte en ligne, modification de vos identifiants ou un changement dans vos souhaits et vos directives après décès.)

Comme toujours, la planification successorale est indispensable et le notariat met à disposition des outils permettant de préparer sa succession numérique et de sécuriser les données numériques afin qu’elles soient prises en compte dans la succession et transmises à vos héritiers grâce au testament et au coffre-fort numérique.

Il s’agit de proposer un espace confidentiel et sécurisé sur lequel protéger les actifs numériques, les identifier et en permettre l’accès, mais aussi de renseigner les directives.

Cela permettra alors de partager les informations avec les proches et son notaire afin d’assurer leur transmission.

Suivant un sondage réalisé par CLESAME-LAB NOTAIRE[3] auprès de 300 personnes :

  • 58% estiment que le stockage actuel de leurs données n’est pas sécurisé
  • 60% craignent un piratage ou vol de leurs données
  • 64% ne savent pas où se trouvent les documents de leurs proches en cas de décès
  • 43% conservent leurs actes notariés dans un tiroir de bureau.

Sensible à ces problématiques et conscient de l’expertise et de la grande utilité de l’intervention du notariat dans ce domaine, en sa qualité de gardien de confiance par nature des mémoires, le Mouvement Jeune Notariat discute avec LAB NOTAIRE sur la création par celui-ci d’un outil numérique de gestion à destination des notaires pour le service de leurs clients : la plateforme informatique Clésame.

LE COFFRE FORT NUMERIQUE NOTARIAL

LAB NOTAIRE et la société CLESAME[4] ont en effet proposé la création d’un outil permettant de mettre à disposition une plateforme patrimoniale dans laquelle nos concitoyens pourraient déposer tous les éléments qui seront nécessaires à leur notaire au moment de leur décès :

  • Un outil centralisateur des documents de la vie courante qui constitue une aide à la gestion du quotidien.
  • Une intelligence permettant de bénéficier d’alertes notaires en fonction des documents déposés et données remplies.
  • Une aide à l’évaluation du patrimoine avec un accès à la base bien des notaires et mise à disposition des simulateurs de droits et impôts.
  • Des données soient la sécurisation des données compte tenu de la sensibilité des éléments, hébergées en France Métropolitaine, protégées par le droit Français et Européen.

Pour une présentation du projet, consulter le teaser en cliquant ici.

En termes de services et d’usage, il est prévu qu’aux côtés du notaire chargé de la succession :

  • pour réduire l’impact environnemental de la conservation inutile de données numériques et éviter les usurpations d’identités après le décès, soit mis en place un service qui se charge de résilier l’ensemble des comptes ouverts en ligne (profils, réseaux sociaux, etc) et intègre à l’actif successoral les éventuelles sommes dont le défunt pourrait être créditeur
  • Et concernant les crypto-actifs, soit proposé au choix du client, un service permettant leur transfert en valeur sur le compte de la succession pour partage entre les héritiers, ou leur transmission sous la forme d’actif numérique à un légataire désigné par testament.

Afin de structurer et présenter les avantages que procurera cette plateforme, une « Clésame Académie » va être organisée à laquelle le Mouvement Jeune Notariat – MJN a été invité à participer comme intervenant en raison des travaux menés lors de des congrès et des valeurs qu’il porte, le mouvement étant très concerné par le souci d’adapter le notariat aux besoins et attentes de notre société sans nier les principes qui fondent notre profession et le sens du service notarial.

Cette Clésame Académie dispensera 8 master class du 18 avril au 30 octobre, sous des formats différents (afterwork, interview, dîner télévisé, colloque) sur les thématiques suivantes :

– Comment réduire l’empreinte carbone avant et après le décès ?

– Comment savoir si nos données sont stockées de manière sécurisée ?

– Les difficultés des héritiers au moment des successions

– La gestion du patrimoine et la survenance d’une incapacité

– Les actifs oubliés des successions

– L’hérédité numérique

– Les dernières volontés

– Transmettre ses souvenirs, est-ce possible ?

A chaque événement, des Professeurs de droit, Notaires, anciens Présidents de Chambre, anciens Présidents du Conseil Supérieur du Notariat mais également des médiateurs de justice, médecin, pompes funèbres, assureurs… interviendront pour échanger sur ces sujets de société qui nous concernent tous et qui concernent plus particulièrement notre profession.

Le Mouvement Jeune Notariat est également invité à participer à l’un des groupes de travaux de CLESAME :

– Pour la transmission des actifs numériques par la vue du notaire

– La mort numérique et les comptes rémunérateurs

– L’accès aux données personnelles en cas de survenance d’une incapacité

– La transmission des souvenirs après la mort

– Le testament numérique


[1] https://www.cnil.fr/fr/mort-numerique-effacement-informations-personne-decedee#:~:text=85%20de%20la%20loi%20Informatique,l’actualisation%20de%20ses%20donn%C3%A9es

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000039280582

[3] https://www.clesame.fr/

[4] https://www.clesame.fr/